Les « Etats Nations » ont donc
démissionné, leur champ d’intervention et de régulation est de moins en moins
pertinent et efficace dans les domaines économiques et sociaux. C’est par
conséquent la fin programmée de l’Etat Providence qui avait pour ambition de
redistribuer les richesses et de prendre en charge les risques sociaux. Certains prendront comme
prétexte son échec : près de 9 millions de Français vivent sous le seuil
de pauvreté, l'Allemagne quant à elle est à 12,5 millions ! Ils n’auront pas
l’honnêteté de reconnaître que cet échec provient d’une économie capitaliste
très gravement malade qui ne se préoccupe pas des délaissés. Les attaques
incessantes des gouvernements pour réduire les acquis sociaux provoquent d’une
part un ras-le-bol de ceux qui travaillent durement, et d’autre part un
sentiment d’injustice pour ceux qui subissent cette situation de rejet.
L’ensemble du problème ne peut à terme que provoquer des tensions entre les deux
catégories d’actifs en oubliant une nouvelle fois les responsables. La
« crise » provoquée par ces derniers marque un tournant dans le
sentiment de solidarité et de progrès continu né après le Seconde Guerre
Mondiale.
Le modèle français ne fait plus recette
car nous avons des dépenses publiques élevées, de l’ordre de 56% du PIB.
Toutefois, les dépenses réelles de fonctionnement de l’Etat sont de 20%, et en
incluant les charges des intérêts et les investissements, on atteint 25% du
PIB. Toutes les autres « dépenses » ne sont que des transferts d’une
partie de la population à une autre. L’Etat ne consomme donc pas plus de la
moitié du PIB, il est juste redistributeur
comme dans tout Etat Providence. Il est par conséquent injuste de
comparer nos dépenses publiques avec celles des Etats où les assurances
sociales sont privées.
Depuis la fin des années 70, et la
stabilité des marchés, les inégalités recommencent à grandir après une période
de réduction due aux guerres et aux boums économiques d’après-guerre. Le
différentiel entre les revenus des salariés et des patrons français était de 1
à 40 dans les années 20, aujourd’hui il peut dépasser les 1 à 350. La rémunération
des plus grands dirigeants d’entreprise est faite pour plus de moitié
d’éléments variables liés non plus à l’activité de l’entreprise mais à la
valeur boursière. Allons-nous assister dans quelques décennies à un monde
dominé par quelques traders, patrons d’entreprises de l’Internet, dirigeants de
pays du Golf ou par la Banque de Chine elle-même ? La logique de détention
des capitaux peut nous amener à une situation ubuesque. En ce début du XXIème
siècle, nous nous retrouvons dans la même situation d’inégalité qu’au milieu de
la révolution industrielle du XIXème. Comment croire à la capacité
d’autorégulation de ce phénomène ? La répartition des richesses est plus
qu’injuste et ne peut être que source de conflits majeurs. Cette ère de haute
technologie, dans un monde capitaliste tel que nous le connaissons, rendra la
distribution des revenus encore plus inégalitaire. Dans les prochaines
années le gâteau va continuer à grossir mais il sera de plus en plus mal
partagé. L’innovation va accentuer les écarts de salaires en trois grandes
catégories : les métiers très qualifiés avec des profils recherchés et
donc très bien payés, les métiers sans qualification dont les salaires vont
encore baisser, et les métiers moyennement qualifiés (logistique, postes administratifs…)
qui seront progressivement remplacés par des machines. Il est nécessaire de
remettre en cause le fait qu’une petite minorité de profiteurs ait accès au « capital
informatique » et qu’une multitude de perdants ne se retrouve sans
ressource. Nous éviterions ainsi l’avènement d’un techno-féodalisme.
Contre la
complexité du monde, il est temps de repenser nos priorités ! Une vision –
des valeurs – une volonté. Sommes-nous capables de réinventer l’avenir ?
L’opinion publique connaît une angoisse du futur qui paralyse notre modèle
économique et elle ne se reconnaît plus dans l’Etat-Providence. La quête de
l’enrichissement personnel prédomine au détriment de la solidarité et des
politiques de long terme. La minorité qui conserve son emploi vit dans des
conditions matérielles jamais connues mais voit ses conditions psychologiques
se détériorer. Un stress grandissant l’envahit, les exigences de la hiérarchie
sont de plus en plus importantes, et elles ne se sont pas améliorées depuis
l’instauration des trente cinq heures.
Dans ce contexte, le rôle des syndicats
est devenu délicat ; ils sont de moins en moins l’expression sociale des
travailleurs. Ils doivent trouver d’autres modes de fonctionnement pour
représenter les forces vives, et élargir leur zone d’action aux millions de personnes
qui n’ont plus d’emploi. En validant, comme toutes les forces productives,
l’automatisation et la « technologisation » de la société, les
syndicats ne se sont pas rendus compte qu’ils coupaient la branche sur laquelle
ils étaient assis. Ils ont préféré assurer la sécurité de l’emploi de ceux qui
avaient encore un travail à une répartition du temps de travail. Ils ont été
dupés. La hausse des salaires contre la hausse de la productivité. Les exclus
peuvent remercier les syndicats de les avoir abandonnés. Avec une progression
exponentielle de la productivité, et par conséquent une baisse des emplois, les
syndicats perdent encore et toujours leurs membres et leur influence. A l’image
du patronat, le syndicalisme risque de disparaître avec la fin du capitalisme.
Les « extrêmes » ont toujours des intérêts communs.