Si l’austérité et la déflation gagnent
toute la zone euro, l’Europe ne les doit qu’à elle-même. Ce sont les choix des
Etats, et de l’Allemagne en particulier, de la Commission Européenne et des
technocrates bruxellois qui ont aggravé la situation économique. Le diktat
allemand de réduction des dettes publiques risque d’entraîner notre continent
dans une crise sociale qui pourrait rappeler de très mauvais souvenirs. La
situation de l’Allemagne est plus mauvaise que ce l’on veut bien nous dire, et
ce malgré un taux de chômage inférieur à celui de la France et un zéro déficit du
budget public. Ce tableau idyllique est contrasté par d’autres éléments bien
moins flatteurs. Des inégalités sociales et une pauvreté qui s’accroissent
fortement (22,2% des Allemands ont un salaire horaire inférieur à 2/3 du
salaire horaire médian contre 6,1% en France – Le Monde Supplément des
17-18/02/2015, le taux de pauvreté est passé de 12,2% en 2005 à 16,1% en 2013 –
Source Eurostat), une démographie vieillissante, un développement du temps
partiel soutenu (21,7% en Allemagne contre 13,6% en France – OCDE), une durée
du travail plus faible qu’en France (1397 heures annuelles contre 1479), un
taux de femmes actives inférieur (45,3% des Allemandes travaillent à temps
partiel contre 29,8% des Françaises), sans oublier un délabrement général des
infrastructures publiques dû à des investissements publics en chute libre
(22,3% du PIB en 2000 et 17% en 2013). Par ces chiffres éloquents, nous pouvons
constater que le miracle allemand n’est pas destiné à durer et que sa politique
d’austérité partagée n’a pour but que d’empêcher ses partenaires à montrer
qu’il existe d’autres voies.
Dégageons-nous de la logique des normes
budgétaires et monétaires européennes. L’austérité, c’est l’enrichissement des
plus riches et la précarisation du plus grand nombre, il suffit de voir les
résultats en Grèce et en Espagne. La concurrence à l’intérieur de l’Europe,
c’est la prédominance assurée des logiques économiques américaines et
asiatiques. François Hollande avait fait d’une réorientation européenne un des piliers
de sa campagne présidentielle de 2012. Il avait la volonté de faire bouger les
lignes en dénonçant le caractère néfaste des politiques d’austérité. Entre 2008
et 2012, celles-ci avaient malgré tout creusé les déficits de 62 à 85 % du PIB
de la France. Les responsables de l’Union européenne estiment que cette crise
est due à un manque de compétitivité de nos entreprises, elle-même engendrée
par un coût du travail exorbitant. Ils se trompent. Des centaines de millions
ont été distribués… pour quel résultat ? L’Europe est en grande difficulté
et si la création d’une monnaie unique aurait dû être un élément de
développement, elle n’est en réalité qu’un poids supplémentaire parce que nous
avons renoncé à notre souveraineté monétaire en omettant de créer une union économique
et fiscale. L’existence d’une multitude d’impôts sur les sociétés ne permet pas
un accroissement des recettes, au contraire, elle incite à l’optimisation
fiscale et renforce la concurrence entre les pays européens.
La réforme des institutions est incontournable
si nous souhaitons retrouver des marges de manœuvre et recréer des liens entre
l’institution et les Européens. L’Europe souffre avant tout d’un déficit
démocratique et d’une domination économique et politique de l’Allemagne.
François Hollande a échoué dans sa volonté de revisiter les traités de 2012.
Nous devons faire passer l’Europe d’une
logique de concurrence à une logique de coopération. Cette priorité nous
permettrait de réaliser que nous Européens sommes la première puissance
mondiale (l’Europe a un excédent commercial de 320 milliards de dollars, contre
200 pour la Chine et 120 pour l’Arabie Saoudite). Nous devons à tout prix
éviter une Europe qui s’entretue non par les armes, mais par les marchés.
La décision en ce début d’année 2015 de
Mario Draghi, le Président de la Banque Centrale Européenne, de racheter 1140
milliards d’euros de dettes d’ici septembre 2016, peut-elle inverser la
tendance et relancer l’économie européenne ? Elle rompt de toute
évidence la logique monétaire d’austérité prônée par Angela Merkel. Cette
création monétaire devrait éviter la déflation et redonner confiance aux
marchés financiers, mais sans une union politique et budgétaire de la zone euro,
il est à craindre que la relance soit bien modeste. On ne peut pas tout
demander à une banque centrale. La mutualisation de la dette ne se fera qu’à
hauteur de 20%, et non de 60% comme il avait été proposé, le reste devra être
assuré par les banques centrales nationales. On est encore loin de l’union
bancaire, mais nous sommes obligés de nous réjouir de cette avancée. Il ne
faudrait surtout pas s’arrêter à ce seul assouplissement monétaire car d’autres
instruments financiers doivent être activés comme la politique budgétaire et
fiscale : une monnaie unique avec dix-huit dettes publiques et des taux
d’intérêt différents est une source d’instabilité. L’afflux de monnaie décidé
par Mario Draghi ne doit pas alimenter des bulles spéculatives mais relancer
l’économie réelle. Avec cet argent peu cher, il devrait y avoir une envie de
prêter aux entreprises et aux consommateurs (à la condition que ceux-ci
recherchent des financements). En définitive, la réussite de cette décision de la
BCE dépend d’une politique d’investissement vertueuse, c’est-à-dire vers les
marchés d’avenir comme la transition énergétique. Verra t-elle le jour ?
La victoire électorale, en Grèce, de
Syriza est une chance pour l’Europe du sud. Reconnaissons que le traité
budgétaire de 2012 était une erreur et trouvons rapidement d’autres
perspectives politiques ! François Hollande a raté son entrée européenne
juste après son élection, la Grèce lui donne la possibilité de relancer une
refondation démocratique de la zone euro sans laquelle nous risquons de réelles
déconvenues électorales. En maintenant ces politiques d’austérité, les majorités
démocratiques au pouvoir vont être toutes balayées les unes après les autres
par des mouvements populistes ou par des rassemblements citoyens du type
Podemos.