La consommation évolue, nous passons du
« je possède » à « j’utilise ». La première raison de ce
transfert reste la situation financière de beaucoup de consommateurs. Il est
nécessaire de faire des économies, de sélectionner son mode consommation.
Toutefois celle évolution ne peut résulter d’un simple constat financier.
D’autres motivations plus nobles peuvent être remarquées : retrouver du
lien social, favoriser le travail local ou encore donner un sens à sa vie de
consommateur. Il existe une prise de conscience des enjeux environnementaux qui
traduit un changement de paradigme économique qui pourrait être symbolisé par
le pair à pair.
Les économistes disent P2P pour peer to
peer pour parler de cette alternative au capitalisme. C’est un modèle de
contribution mutuelle qui permet aux citoyens de créer ensemble de la valeur
sans passer par des intermédiaires capitalistiques. Dans le P2P, le plus petit
peut être plus fort que le plus grand. Dans l’immatériel le partage est facile
car le coût marginal est proche de zéro, il en est tout autrement dans
l’économie physique qui nécessite de régénérer la valeur pour l’achat de
machines, de matières premières,… L’explosion d’Internet dans les échanges
économiques, la montée en puissance des communs et de l’économie sociale et
solidaire et ce bouillonnement dans le monde qui rappelle pour certains
l’euphorie soixante-huitarde vont créer les conditions de ce système
émancipatoire du pair à pair. Si les multinationales ne sont plus les seules à
détenir et contrôler l’information et les connaissances, le capitalisme capte
encore une partie du pair à pair. Cette contradiction provient du fait qu’une
partie de la valeur retourne dans le circuit capitaliste par l’insuffisance
d’un écosystème indépendant. L’économie sociale et solidaire doit prendre sa
part de responsabilité en cette période de transition. Il faut trouver une convergence
entre le modèle ouvert des connaissances et le modèle coopératif dans la
production de biens matériels en créant des coopératives qui produisent comme
toute entreprise sur un marché mais qui partagent leurs connaissances. Des
initiatives se multiplient et certaines existent depuis des années, il est
temps de créer des écosystèmes qui organisent cette alternative au capitalisme,
seul Internet en a la capacité.
Le système économique de demain ne sera
pas uniforme, tout ne peut être horizontal et collaboratif. Un modèle unique
serait la meilleure façon de nous entraîner vers un certain totalitarisme. Les
trois acteurs que sont l’Etat, le marché et les citoyens vont devoir cohabiter
et imaginer les conditions d’un développement soutenable. Il faut un Etat partenaire
qui facilite l’autonomie sociale et individuelle, qui crée les infrastructures
civiques, sociales et technologiques afin de faciliter une autre organisation de la Cité.
Il faut un marché qui censure cette logique court-termiste et destructeur pour
des perspectives de prise en compte des générations à venir. L’esprit
d’entreprise est une belle promesse lorsqu’elle est humaine et écologique.
Enfin, il faut des citoyens qui prennent conscience de leur capacité de
contribution aux biens communs et qui créent des forces sociales et politiques
nouvelles. Le modèle économique que nous pouvons voir émerger rapidement se
formalisera autour de communautés de contributeurs, d’une coalition
entrepreneuriale capitaliste et solidaire et de fondations qui facilitent la coopération
par le financement participatif, le tout sous l’autorité morale de pouvoirs
publics locaux, nationaux et internationaux.
Nous devons être pragmatiques et espérer
une prise de conscience rapide et exponentielle des citoyens. Le pair à pair,
c’est la production du commun. Si nous ne voulons pas repasser par la case
chaos, nous ne pourrons pas rester indéfiniment sur nos acquis et les logiques
consuméristes qui nous gouvernent.
« Même si
les contours de cette nouvelle société sont encore flous, on voit bien qu’une
grande partie de nos pratiques et de nos attentes vont en être – et sont déjà –
profondément bouleversées. »
Jean Staune (« Les clés du Futur», p.303)