En 2008 Nicolas Sarkozy
défendait l’idée, qui a fait en partie son succès présidentiel, qu’il fallait
produire plus pour gagner plus. Un séduisant concept qui avait fait le succès
du capitalisme depuis deux siècles et que la révolution de mai 68 avait quelque
peu jauni. Malheureusement pour lui ce concept ne fonctionne plus parce que
gagner plus nécessite une productivité plus
performante et par conséquent une automatisation plus poussée qui presse
l’emploi. Si celui-ci est en diminution, le pouvoir d’achat va dans la même
direction, et si celui-ci chute la consommation est en baisse. Et lorsque la
consommation ne suit pas la production est au ralenti. La boucle est bouclée,
le système consumériste est grippé.
Ce cycle infernal incite
certains acteurs économiques à agir autrement surtout si ce qu’ils produisent
développe un savoir dans le cadre de la révolution numérique et de l’économie collaborative qui en découle. Nous
assistons au développement d’un modèle contributif. Le philosophe Bernard Stiegler a
développé le concept de l’économie de la contribution qui met fin à la relation
producteur consommateur en nous transformant en contributeur. En termes de
consommation, nous sommes tour à tour producteur et consommateur, autrement
appelé prosommateur. Ce terme provient du mot anglais prosumer créé dans les
années 1980 par Alvin Toffler. L’idée était que le consommateur, devenu plus
exigeant, souhaitait prend part à la production d’un produit sur mesure.
Avec la révolution
numérique, en particulier les outils collaboratifs ou l’Internet des objets,
nous assistons à une remise en cause totale de l’organisation classique de
l’offre et de la demande et une accélération du nombre de prosommateurs. Ce
n’est plus un choix de comportement d’agent économique mais un choix politique.
De plus en plus d’exclus volontaires ou non du monde de l’emploi deviennent les
premiers prosommateurs seconde génération, ils retrouvent ainsi l’estime d’eux
et le goût du travail. Le mode de consommation contributive est plus durable,
plus convivial, plus altruiste en dépensant moins, il n’a pas d’intermédiaire et
génère des revenus différents. C’est aussi et surtout un bienfait pour
l’environnement et une réponse à la société sans emploi. Nous avons par
conséquent deux modèles qui se font face, le consumériste et le contributif,
aujourd’hui les deux se mélangent (ex. Google ou BlaBlaCar) et cette situation restera
ainsi jusqu’au jour où il n’y aura plus assez de pouvoir d’achat parce qu’il n’y aura
plus suffisamment de salaire distribué dans l'économie. Ce sera la fin de l’époque de redistribution.
Deux questions
originelles se posent à tous ceux qui réfléchissent à cette mutation
économique. Tout d’abord ces
prosommateurs vont-ils créer des entreprises en intégrant une économie sociale
et solidaire et en ne faisant pas de la profitabilité leur objectif premier ou
vont-ils se transformer en start-ups en recherche permanente de toujours plus
de profits ? Enfin ces
prosommateurs ne participent-ils pas à la condamnation à terme de l’emploi pour
un travail sans règles et devoirs ou vont-ils engendrer un travail qui
proposera une nouvelle approche plus autonome, créative et innovante. Pour Jeremy
Rifkin, « les nouveaux entrepreneurs sociaux sont moins guidés par la main
invisible et davantage par la main secourable. Ils sont beaucoup moins
utilitaristes et beaucoup plus empathiques. » (La nouvelle société du coût marginal zéro p.457) Toutefois, nous
pouvons penser que le prochain conflit culturel se fera entre les prosommateurs
collaboratifs et les investisseurs capitalistes, à moins que les principaux
contributeurs des deux camps ne finissent par se retrouver et s’allier.