5.
Une société sans emploi
La fin du salariat / Le temps de
travail / Les intermittents du spectacle, une avant-garde combative /
L’artisanat numérique / Le revenu de base
La
fin du salariat
Il est urgent de
rompre avec le discours ambiant qui veut que la mondialisation soit la cause du
chômage. 10 à 15% des destructions d’emplois industriels sont liés à celle-ci
et 85 à 90% aux gains de productivité dus à la modernisation de l’outil de
production. Les créations d’emplois ne peuvent intervenir que si la croissance
est supérieure aux gains de productivité, or cette tendance s’éloigne à grand
pas. L’entreprise n’est plus à terme le lieu principal de création d’emplois, à
l’exception de quelques secteurs d’activité, comme l’énergie et l’habitat, pour
assurer la mutation de la société. A partir de cette phase ultime que peut-il se
passer ? L’employé va devenir un statut social rare et fait dire à
certains prospectivistes que nous nous dirigeons vers la fin du salariat.
Combien de personnes en âge de travailler ne rejoindront jamais le marché de
l’emploi ? Il est difficile de donner des chiffres précis mais nous nous trouvons dans une tendance haussière. En
Scandinavie, 30% des actifs sont utilisés en télétravail. De nombreuses formes
d’activité (CDD, intérim, temps partiel, travail indépendant,
auto-entrepreneurs, « intermittent », sous-traitant,…) vont remplacer
ce qui était devenu la règle avec les deux précédentes révolutions
industrielles. Selon la célèbre université américaine MIT, 47% des emplois aux
Etats-Unis et 54 % en Europe vont disparaître ou seront largement transformés
d’ici 2030. Au-delà de cette mutation sociale qui peut être positive en terme
d’intérêt et d’épanouissement dans le travail, ce sont toutes nos garanties
collectives qui seront remises en cause. Alors allons-nous vers un déclassement
ou une revalorisation du travail ? La réponse est complexe, mais elle sera
dans un premier temps perçue comme un déclassement par tous ceux qui passeront
par la case chômage. François Hollande ne peut inverser durablement la courbe
du chômage des employés, à l’exception d’expédients qui ne dureront pas et d’un
plan d’investissement européen dans les infrastructures énergétiques et
l’habitat. La question de l’excédent de travail humain sera au centre de toutes
les grandes décisions politiques, et plus on attendra plus il sera difficile
d’assurer la transition.
Nous devons toutes et tous
travailler moins, pour toutes et tous pouvoir travailler.
Le chômage mine la jeunesse et déprime
les actifs les plus âgés, il détruit le sens de l’effort. Les êtres humains
sont conçus pour travailler, pas au sens étymologique « tripaliare »
c’est-à dire torturer, mais pour exécuter une œuvre, la façonner. Trop
longtemps, ils se sont laissés faire, abandonnant le combat devant le mur de
l’argent. En devenant chômeurs, ils perdent le peu d’amour propre qu’ils
pouvaient avoir, tout leur monde se détruit. Il est alors très facile de parler
de ces millions de fainéants qui n’attendent que la fin du mois pour toucher
leur RSA. Félix Leclerc chantait « l’infaillible façon de tuer un homme,
c’est de le payer pour être chômeur, et
puis c'est gai dans une ville ça fait des morts qui marchent. ».
La
vision du monde va changer, et ce malgré la minorité d’actifs qui vont avoir
toujours plus d’employabilité et donc vont se battre pour valoriser leur
contribution.
Notre
modèle économique et social est malade, il ne peut plus se maintenir sans de
profonds changements or son apport matériel est majeur auprès de nos
concitoyens consuméristes et ceux-ci ne sont pas disposés à le voir
disparaître. D’où les nombreux blocages auxquels on assiste à chaque fois qu’il
y a une tentative de réforme sans projet de société à l’appui. Je suis persuadé
qu’il n’existe que deux hypothèses. Une néolibérale qui démantèlerait notre
système de protection pour plus de performance économique, plus de flexibilité
et moins de règlementations pour un marché toujours plus libre, et le gouvernement de Manuel Valls s'en rapproche dangereusement. Une humaniste
et solidaire qui privilégierait l’altruisme et la collaboration, la
mutualisation et le bien être, le parti politique Nouvelle Donne veut en faire partie. La révolution technologique à laquelle nous
assistons m’inciterait à penser que la seconde hypothèse est dorénavant
possible, elle l’était difficilement quelques années en arrière. Nous sommes en
capacité de fournir une alternative au néolibéralisme.
L’emploi salarié va devenir assez
rapidement minoritaire. Nous pouvons aller vers un modèle économique basé sur
la contribution volontaire et la co-création. Nos politiques raisonnent encore
avec un logiciel des années soixante. Dans le rapport Gallois sur la compétitivité
française, il n’y a pas un mot sur l’impact du numérique. Il ne faut surtout pas
céder à la panique devant la fin du travail salarié dans les grandes
entreprises de production de masse. La IIIème Révolution Industrielle ne
nécessite plus dans tous les secteurs d’activité une approche productiviste
concentrée mais une organisation latérale et décentralisée. Dans son dernier
livre Jeremy Rifkin affirme : « Je pense qu’au milieu du siècle,
peut-être même bien plus tôt, la majorité de la population active dans le monde
sera employée dans le secteur non lucratif sur les communaux
collaboratifs : elle oeuvrera à faire progresser l’économie sociale et
achètera une partie de ses biens et services sur le marché traditionnel.
L’économie capitaliste sera gérée par une technologie intelligente, servie par
de petits effectifs de travailleurs intellectuels et techniques très
qualifiés. » (« La nouvelle
société du coût marginal zéro » p.401).