Pour les défenseurs du capitalisme, nous assistons à une
économie mondiale dite « heureuse » qui se spécialise à l’échelle des
continents, se veut ouverte à tous ceux qui avaient été délaissés jusque là et
supprime progressivement les protections sociales durement gagnées au cours des
ans par les salariés. Sans oublier que ce soit disant gagnant-gagnant s'est
arrêté le jour où les règles imposées par les puissants n’ont plus été
respectées par les soi-disant plus faibles. La concurrence est généralisée et
notre modèle social se retrouve de nouveau en grand danger. Les défenseurs du
libre-échange acceptent le principe que cette posture fasse de nombreuses
victimes, parce que pour eux, il n’y en a pas d’autre. L’évolution du monde est
paraît-il ainsi faite de gagnants et de perdants, et dans l’ensemble la très
grande majorité des acteurs s’y retrouve. Ces théoriciens libéraux pourraient
avouer que c’est avant tout une très petite minorité qui prospère et que la
mondialisation libérale est une dérèglementation et privatisation des biens et
services publics. Ce n’est pourtant pas cette mondialisation qui avait été
imaginée à la fin des années soixante par une jeunesse qui rejetait l’ordre
établi.
Pendant trop d’années nos pays occidentaux ont vécu
grâce à un endettement public et privé consumériste, financé en partie (surtout
aux Etats-Unis) par ceux que nous faisions travailler (la Chine en priorité).
L’intensification de ces échanges commerciaux n’est pas obligatoirement un
signe de bonne santé économique et morale. 2008 a été la première alerte d’un
système « effet papillon » que plus personne ne maîtrisait. Lorsque
la confiance disparaît, c’est tout l’édifice qui est fragilisé, et les
financiers voltigeurs redeviennent des barbares sans foi ni loi. Ce cycle « croissance
– prospérité – crise – chômage » est logique et courant dans le système
capitaliste, depuis ses origines. Malheureusement il apparaît de plus en plus
destructeur en raison de sa dimension mondiale et de la disparition des
frontières.
Dans une économie fermée, on baisse les impôts et on
libère les marchés pour créer de la croissance, et lorsqu’il y a surchauffe
économique et inégalités flagrantes, on taxe et on contrôle. Cette suite de
cycles avait donné les résultats connus : la suprématie du capitalisme,
l’extraordinaire avancée technologique, la société de consommation mais aussi
le pillage des richesses naturelles, la domination du monde occidental et
l’enrichissement sans commune mesure de quelques princes du pétrole ou de
l’industrie. Toutefois ce succès ne satisfaisait plus les prédateurs de la
finance internationale. Il fallait aller plus vite et plus loin et les outils
informatiques le permettaient ; C’était oublier un peu vite le fait que
les règles du jeu allaient être dorénavant nécessairement différentes en raison
des situations économiques, sociales et fiscales très différentes des acteurs
de ce Monopoly géant. Les responsables des principaux Etats concernés étaient
favorables à une mondialisation des marchés mais rien de plus. Il n’était pas,
pour eux, question de perdre l’ensemble de leurs privilèges. Ils acceptaient
simplement de tordre le cou à l’inflation pour favoriser l’épargnant investisseur
et rendre indépendantes les autorités bancaires. Or, nous avons assisté à un
partage des responsabilités : les financiers se répartissent les richesses
et les politiques gèrent les citoyens, chômeurs en puissance. Un partage peu
reluisant mais bien réel. En 2008, il ne fallait pas sauver les peuples de
l’austérité, mais rester en capacité de rembourser la dette, ce que firent
merveilleusement bien nos dirigeants politiques. Ils avaient sauvé l’économie
mondiale et Régis Debray pouvait écrire dans « Eloge des
frontières » : « L’économie se globalise, la politique se
provincialise. »
Et si 2008 n’était pas la première dépression, elle ne
sera certainement pas la dernière si nous laissons les marchés financiers jouer
à leur guise. Sans l’intervention des Etats, où en serions-nous
aujourd’hui ? Certains politiques se félicitent d’ailleurs d’avoir été ces
pompiers qui ont éteint le feu, mais ils oublient avoir soufflé sur les braises
pendant des années. Le système social français et la zone euro ont été des
amortisseurs, mais le seront-ils encore la prochaine fois et à quel prix ?
Les pays du sud de l’Europe ne sont pas sortis indemnes de cette déflagration
financière. La mondialisation s’est faite à crédit et seules les élites en ont
profité. Les inégalités salariales sont en forte progression entre ceux qui
sont dans l’« Earth Inc. » et les autres.
Il est un fait que la mondialisation heureuse est loin
d’être une réalité. Alors faut-il se recroqueviller sur soi comme le proposent
les nationalistes, les identitaires et à leur tête Marine Le Pen ? Cette
tentation totalitaire
est tout autant destructrice, il est essentiel
d’échanger avec les autres, de s’ouvrir sur le monde village dans lequel nous
vivons. Communiquer est une exigence pour les peuples mais produire et
consommer sans frontière est une négation de nos différences patrimoniales et
culturelles. Pourquoi vouloir uniformiser ce qui fait la richesse
humaine ? Nos besoins et nos envies peuvent ne pas être les mêmes à Paris
et à Pékin. Les responsables politiques qui nous gouvernent ont abandonné à des
instances supranationales et aux marchés leur pouvoir d’agir et d’édifier le
monde de demain. Ils sont devenus les rois fainéants du XXIème siècle,
incapables de guider leur peuple vers un avenir radieux. L’argent a pris le dessus
sur toutes les valeurs sociales et culturelles, il faut maintenant que nous
obligions l’économie à reprendre sa juste place en tant qu’outil, et qu’elle
laisse la société civile reconstruire une finalité, une volonté de fédérer les
Hommes autour de valeurs communes, ce que certains pourraient appeler le Sacré.
L’Europe était un beau projet au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, nous
l’avons transformée en un marché vampirisant. Les frontières ne sont pas
définitives, elles ne sont pas un mur interdisant à l’autre de nous rejoindre.
Elles sont au contraire un filtre qui permet de réunir ceux qui le souhaitent
pour construire un avenir commun entre des Hommes qui partagent un même projet,
une même ambition. Il faut laisser les peuples librement choisir leur chemin,
processus extrêmement compliqué en raison de notre état addictif à la surconsommation.
En définitive, il existe plus de chance
que la libération à cette société de consommation provienne d’un monde
capitaliste qui a épuisé ses atouts pour provoquer un chaos économique et
social, que d’une prise de conscience collective et démocratique. La
mondialisation aura été alors l’ultime étape avant la fin de l’impérialisme du
tout argent.