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vendredi 17 juillet 2015

Chapitre 9 : LA SMART CITY - Entre urbanité et urbanisme, il faut choisir


9.

La Smart City

 

Entre urbanité et urbanisme, il faut choisir / Quelle intelligence ? / Un écosystème bâti sur 4 piliers / Le monde urbain de demain / L’urbanisme participatif / Les dangers du Big Data / La Place Publique   


Entre urbanité et urbanisme, il faut choisir
Avec la crise du logement de l’après-guerre, l’urbanisme avait apporté des réponses satisfaisantes à un Etat centralisateur, en remodelant nos villes, en construisant de grands ensembles et en imaginant les nouveaux espaces de consommation. Or, aujourd’hui l’urbanisme dépend d’un modèle social et économique dépassé. Durant toutes ces années de puis les Trente Glorieuses on a maltraité la ville et par conséquent les habitants qui y vivaient et qui allaient leur succéder au fur à mesure des vagues d’immigration. Or, une République égalitaire serait celle qui accorderait un même droit à l’égalité de destin urbain pour tous, comme devrait l’être l’école publique et laïque. La ville se comporte comme si elle était quelque chose de naturelle, or elle n’est qu’un objet artificiel que l’on façonne au gré des besoins économiques et des révolutions technologiques. Nous entrons dans une période où ce n’est plus une question d’urbanisme, mais exclusivement un plaisir d’habiter dans un lieu quel qu’il soit. Il y a naturellement un bien fondé entre le « bien habiter » et la vie sociale heureuse.
Cette préoccupation ne date pas d’aujourd’hui, Diderot développait déjà une approche globale de la ville comme lieu d’une nouvelle urbanité (du latin urbanus, exprimant le type de politesse que produirait la ville), alliant à la fois l’intérêt économique, le bien-être et le bon goût. Pour le philosophe, la ville était un laboratoire philosophique (sociabilité de l’Homme), un laboratoire économique (harmonie des métiers et des commerces) et un laboratoire politique (prise de conscience du citoyen de la liberté et de l’intérêt général). Diderot défendait la conception de la ville porteuse d’émancipation, de mémoire et d’avenir. Dans son livre « Mélanges pour Catherine II », il écrivait « Cette proximité des hommes les lie, leur liaison les adoucit et les civilise ; c’est de ces boutiques que sortiront tous les beaux-arts qui seront alors indigènes et durables. » Diderot cherche à promouvoir la mixité sociale qui doit se développer dans la ville, il veut célébrer une nouvelle sociabilité. Plus de trois siècles après nous courons encore après cette alchimie qui doit savoir rejoindre le beau à l’utile et au juste. La ville doit redonner toute sa place aux ambiances, aux odeurs, aux couleurs par une succession de lieux différents, de places, de rues, d’allées, de minéraux, de végétal, de cours d’eau… « La ville, c’est l’espace où l’on peut enfin être soi-même » (Roland Castro « La Fabrique du rêve »). C’est cette présence d’autrui à l’infini qui abrite notre liberté individuelle.
C’est à partir de cette urbanité que l’on doit imaginer la ville de demain, cet espace où personne ne peut revendiquer la propriété. L’enjeu actuel est de réinventer cette urbanité en profitant de tous les nouveaux outils à notre disposition, de l’impérieuse nécessité de tenir compte de l’environnement et de l’intérêt porté enfin à ceux qui habitent la ville. Il est fini le temps de concevoir un nouveau modèle urbain, il est urgent de répondre aux problèmes concrets quotidiens en engageant des alternatives radicales pour une ville durable et intelligente. Il faut sortir du paradigme d’un urbanisme moderne qui sectorise les fonctions urbaines et privilégie les modes de déplacement rapides pour un paradigme plus systémique qui cherche à mieux comprendre les interactions entre les différents phénomènes. Là encore la transition sera longue en raison de l’inertie des infrastructures et des comportements, mais elle devrait être aidée par un apport technologique sans précédent au service de l’Homme et non d’un système consumériste désincarné.

samedi 11 juillet 2015

Chapitre 8 suite et fin : Le pair à pair (P2P)

La consommation évolue, nous passons du « je possède » à « j’utilise ». La première raison de ce transfert reste la situation financière de beaucoup de consommateurs. Il est nécessaire de faire des économies, de sélectionner son mode consommation. Toutefois celle évolution ne peut résulter d’un simple constat financier. D’autres motivations plus nobles peuvent être remarquées : retrouver du lien social, favoriser le travail local ou encore donner un sens à sa vie de consommateur. Il existe une prise de conscience des enjeux environnementaux qui traduit un changement de paradigme économique qui pourrait être symbolisé par le pair à pair.
Les économistes disent P2P pour peer to peer pour parler de cette alternative au capitalisme. C’est un modèle de contribution mutuelle qui permet aux citoyens de créer ensemble de la valeur sans passer par des intermédiaires capitalistiques. Dans le P2P, le plus petit peut être plus fort que le plus grand. Dans l’immatériel le partage est facile car le coût marginal est proche de zéro, il en est tout autrement dans l’économie physique qui nécessite de régénérer la valeur pour l’achat de machines, de matières premières,… L’explosion d’Internet dans les échanges économiques, la montée en puissance des communs et de l’économie sociale et solidaire et ce bouillonnement dans le monde qui rappelle pour certains l’euphorie soixante-huitarde vont créer les conditions de ce système émancipatoire du pair à pair. Si les multinationales ne sont plus les seules à détenir et contrôler l’information et les connaissances, le capitalisme capte encore une partie du pair à pair. Cette contradiction provient du fait qu’une partie de la valeur retourne dans le circuit capitaliste par l’insuffisance d’un écosystème indépendant. L’économie sociale et solidaire doit prendre sa part de responsabilité en cette période de transition. Il faut trouver une convergence entre le modèle ouvert des connaissances et le modèle coopératif dans la production de biens matériels en créant des coopératives qui produisent comme toute entreprise sur un marché mais qui partagent leurs connaissances. Des initiatives se multiplient et certaines existent depuis des années, il est temps de créer des écosystèmes qui organisent cette alternative au capitalisme, seul Internet en a la capacité.
Le système économique de demain ne sera pas uniforme, tout ne peut être horizontal et collaboratif. Un modèle unique serait la meilleure façon de nous entraîner vers un certain totalitarisme. Les trois acteurs que sont l’Etat, le marché et les citoyens vont devoir cohabiter et imaginer les conditions d’un développement soutenable. Il faut un Etat partenaire qui facilite l’autonomie sociale et individuelle, qui crée les infrastructures civiques, sociales et technologiques afin de faciliter une autre organisation de la Cité. Il faut un marché qui censure cette logique court-termiste et destructeur pour des perspectives de prise en compte des générations à venir. L’esprit d’entreprise est une belle promesse lorsqu’elle est humaine et écologique. Enfin, il faut des citoyens qui prennent conscience de leur capacité de contribution aux biens communs et qui créent des forces sociales et politiques nouvelles. Le modèle économique que nous pouvons voir émerger rapidement se formalisera autour de communautés de contributeurs, d’une coalition entrepreneuriale capitaliste et solidaire et de fondations qui facilitent la coopération par le financement participatif, le tout sous l’autorité morale de pouvoirs publics locaux, nationaux et internationaux.
Nous devons être pragmatiques et espérer une prise de conscience rapide et exponentielle des citoyens. Le pair à pair, c’est la production du commun. Si nous ne voulons pas repasser par la case chaos, nous ne pourrons pas rester indéfiniment sur nos acquis et les logiques consuméristes qui nous gouvernent.

« Même si les contours de cette nouvelle société sont encore flous, on voit bien qu’une grande partie de nos pratiques et de nos attentes vont en être – et sont déjà – profondément bouleversées. »
Jean Staune (« Les clés du Futur», p.303)

jeudi 2 juillet 2015

Chapitre 8 suite : La nomadisation du travail


L’entreprise reste le premier levier de création de valeur économique, et l’acteur principal de l’économie réelle, mais ne peut se désintéresser du monde dans lequel elle se développe, des êtres qu’elle entraîne et des conséquences de son activité sur l’environnement. Elle doit être exemplaire ce qui n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui avec la financiarisation de l’économie et l’omniprésence de la dictature de l’urgence. La très grande majorité des entreprises est prise au piège et ne consulte que son tableau de bord de profitabilité. Or, comme nous l’avons vu précédemment la technologisation, dans le cadre d’une économie capitaliste, nous entraîne dans une impasse. Il faut croire en l’entreprise en tant qu’espace de création et de production, de lieu d’épanouissement individuel et collectif, de structure protectrice de l’environnement, et non en tant qu’instrument d’exploitation et d’enrichissement sans limite. De plus en plus de jeunes veulent entreprendre, non pas nécessairement pour devenir millionnaires ou pour écraser son voisin, mais pour se réaliser, pour concrétiser un rêve, pour se rendre utile… Ils croient à l’initiative, à la responsabilisation mais ils s’inscrivent dans une démarche collective et de partage. Dans la tradition judéo-chrétienne, le travail soigne la paresse, détourne des tentations et enseigne l’humilité, mais de quel travail parle t-on ? Si c’est le travail salarié qui s’est développé depuis plusieurs siècles, nos dirigeants nous trompent. Le travail est-il un moyen d’acquérir un revenu, un statut, une place dans la société, un sentiment d’utilité, un lien avec les autres ? Pourquoi travaillons-nous ? Le travail en tant qu’activité d’épanouissement, de créativité et de partage est bénéfique à l’Homme. Aujourd’hui avec le développement continu et sans limite du chômage, il est temps de repenser le travail à partir du modèle de société que nous voulons construire.
Nous assistons à une triple mutation. Nous passons d’une économie de la production à une économie de la connaissance, d’une économie de la possession à une économie d’usage et enfin «l’ordinatisation» des métiers va tuer l’emploi à petit feu. Ainsi, nous allons passer d’une économie de la rareté à une économie de l’abondance. Par exemple, lorsque je donne mon verre d’eau, je n’ai plus d’eau et lorsque je donne une idée, je ne fais que la partager. L’abondance conduira l’Homme à tourner le dos au matérialisme. Les métiers de demain devraient s’organiser autour des 4 axes suivants : le monde technologique, le monde de la santé, le monde de la création et le monde du pouvoir managérial. Ces axes vont directement profiter de la révolution numérique et bouleverser la création de richesse, il ne sera plus nécessaire d’être attaché à une entreprise, entité ou site physique pour travailler. De plus en plus d’acteurs économiques se libèrent déjà naturellement ou par force de ces contraintes d’emploi pour générer leur propre activité. Ils peuvent travailler de chez eux ou à partir d’espaces collectifs dans le cadre d’une démarche de co-working.
Le web redéfinit notre rapport au territoire. Il est possible dorénavant de travailler de n’importe où avec qui l’on veut et associer travail et loisir. La nomadisation du travail est en marche et va bouleverser nos modes de vie. Nous allons remplacer progressivement le statut d’employé par celui d’artisan numérique. La multiplication des cantines numériques va permettre de mutualiser les énergies et les compétences. A partir de là, l’économie redeviendra au service de la société et non l’inverse.

lundi 22 juin 2015

Chapitre 8 suite : La robotisation


Il existe aujourd’hui de nombreuses théories sur le travail vers 2050. D’après une étude de l’ANACT (Agence Nationale pour l’amélioration des conditions de travail) il existe quatre tendances. Tout d’abord, la fin du bureau avec la généralisation des lieux de production atomisés, les actifs se retrouvent chez eux dans des espaces de coworking ou dans tout espace de vie connecté. Ensuite, les parcours professionnels ne sont plus linéaires, on alterne des temps de travail, de formation et de loisir. La notion de départ à la retraite fait partie du passé, chacun est libre de sa participation à la vie économique de la société. Troisièmement, la gouvernance économique a connu une révolution, le chef a disparu. L’organisation du travail est latérale et collaborative. Enfin, la production en grande série est effectuée par les robots ou des ordinateurs. Le développement de l’imprimante 3D est généralisé et il n’est pas rare de visiter une entreprise sans personnel. La différence entre l’automatisation et la robotisation provient que le second processus ne vise pas à ce que le robot produise mieux que l’Homme mais le remplace pour des activités plus valorisantes. Toutefois, si la robotisation est une évolution logique de notre société, la manière dont nous allons nous en servir n’est pas encore aussi lisible. Elle peut être un nouvel esclavagisme ou un système libérateur et émancipateur. Le capitalisme ne va pas accepter facilement que cette mutation technologique le dépouille de sa main mise sur le travailleur. Dans l’économie capitaliste il y avait celui qui crée, qui finance et celui qui vend sa force de travail. Et, tout le monde y trouvait un intérêt plus ou moins enrichissant. Avec cette mutation le système a commencé à se fracturer, sans consommateur plus de production. C’est par conséquent toute la centralité du travail dans notre société qui va devoir être revisité. Si le robot ne mange pas, ne dort pas et ne prend pas de congés, ce n’est pas lui qui achètera les plats cuisinés qu’il aura préparés, qui achètera une bonne literie et qui s’agglutinera autour des piscines de clubs de vacances ! Il ne faut donc pas que les patrons de multinationales savourent trop vite les conséquences en matière de profit pour avoir remplacé des ouvriers revendicatifs par des robots sans conscience.
Le marché mondial de la robotique va représenter plus de 55 milliards $ en 2025. La France est loin derrière, les américains, les japonais, les allemands ou les coréens. L’émergence d’une économie robotique « la rébolution » est inéluctable, son champ d’action est de plus en large, du médecin à l’agriculteur, du gardien de prison au maçon. Peu de métiers, des plus spécifiques aux moins qualifiés ne seront épargnés. Nous comptions 125 robots industriels pour 100 000 salariés lorsque les allemands en comptaient 282, loin derrière les coréens avec 437 (IFR Statistical Department). Cette faiblesse française est due à la situation industrielle. Aussi, notre retard actuel est un moyen de nous positionner sur les marchés porteurs, et en particulier sur le marché des objets connectés. L’intérêt est de passer d’’une fonction de back office à une fonction de front office en générant de nouveaux services. Toutes les études démontrent l’intérêt économique de la robotisation, en particulier en matière d’amélioration de la compétitivité-prix, mais a t-on réellement intégré la dimension de l’emploi ? Selon une étude de l’Université d’Oxford, un métier sur deux est menacé par les robots. Nous ne pouvons pas nous opposer à cette lame de fond, il faut par conséquent s’y préparer et surtout ne pas croire ceux qui affirment que la technologisation de l’économie a permis de créer toujours plus d’emploi et qu’il en sera ainsi à l’avenir. Jusqu’à ces dernières années le remplacement de l’Homme par une machine permettait une économie, l’argent étant alors réinjecté. Ce n’est plus la réalité, les multinationales réalisent des profits plus importants qu’elles réinvestissent dans la finance malgré les nombreuses incitations fiscales. Il est fort à parier que les dernières décisions du gouvernement de Manuel Valls d’exonérer à hauteur de 140% les investissements de toutes les entreprises ne soient pas plus un succès que les précédentes aides. Si la question n’était pas suffisamment grave pour l’équilibre de notre société, nous pourrions rire des affirmations de nos responsables politiques sur le retour au plein emploi. Il nous faut nous préparer au contraire à vivre sans emploi industriel et à voir disparaître de nombreux emploi de service. La croissance lente mais continue de la robotisation de notre économie nationale est la preuve de la faiblesse d’investissement des entreprises, des freins culturels et des résistances sociales, nous pourrions nous en féliciter si cela favorisait la tout simplement. Le robot, du mot tchèque « robota » qui signifie « travailleur dévoué » ou « esclave », acquiert une intelligence pour qu’il soit moins spécialisé et qu’il ne se limite pas qu’à une seule fonction. Sans être idyllique le monde du travail à venir n’aura plus rien à voir avec celui que nous connaissons. La formation initiale puis professionnelle, l’emploi, la retraite ne seront plus vécus comme un enchaînement naturel de notre vie, une sorte d’histoire écrite avant qu’elle ne soit vécue. Le robot, partenaire artificiel, peut nous débarrasser des tâches pénibles et ennuyeuses, et libérer l’Homme sans oublier la sensibilisation et l’adaptation de notre jeunesse.
Les gains de productivité dus à la robotisation ou à l’informatisation des process permettent de produire davantage avec des moyens humains largement réduits. Si nous n’agissons pas à court terme sur la durée du temps de travail, « l’ordinatisation » des métiers va tuer l’emploi à petit feu. Ce partage est nécessaire mais loin d’être suffisant car nous ne réduirons pas de manière importante le chômage en travaillant moins. La robotisation va entraîner une mutation de nos modes de vie et doit être mise au service de la frugalité consommatrice et pas à l’accroissement des bénéfices des entreprises.

lundi 15 juin 2015

Chapitre 8 suite : Vers une société post-industrielle


La transition vers une société post-industrielle exige selon Ivan Illich un triple renoncement : à la surpopulation, à la surabondance et au surpouvoir. Par conséquent, il semble évident qu’il y ait un renversement complet des institutions qui régissent nos économies, et que celles-ci soient au service de la société et non l’inverse. Nous devons créer une dynamique, stimuler une coopération et inventer une nouvelle frontière.
L’Homme a travaillé la terre, puis la matière et maintenant ? Nous allons entrer dans une ère industrielle décentralisée. L’économie latérale se manifeste par des coopérations numériques et des innovations énergétiques. Jeremy Rifkin affirme que « l’économie moderne de marché et l’Etat-Nation servirent à leur tour de mécanismes institutionnels à l’accélération de cette réorganisation du monde. Le marché allait être l’arène impartiale dans laquelle chaque capitaliste lutterait contre les autres afin de capturer l’espace et séquestrer le temps sous forme de propriété privée. L’Etat-Nation émergent avait pour mission de protéger la propriété de chacun en établissant des codes juridiques et des mécanismes d’application – garantissant dans le même temps la liberté individuelle. » (« Le rêve européen » p.189) Cette société post-industrielle va se démarquer de l’Etat-Nation car il ne peut plus satisfaire la demande de sens des nouvelles générations qui veulent au plus vite trouver des réponses aux trois questions suivantes : Quelle démocratie ? Que faire de la science ? Quelle place au travail ?
L’économie de marché et son corollaire l’Etat-Nation ne sont pas prêts à faire face à cette société post-industrielle stimulée par la révolution des communications. La vitesse de l’information, de l’ordre de la nano seconde, n’est pas adaptée au système économique capitalistique. Cette accélération du rythme des communications va faire naître de nouveaux systèmes économiques et financiers, et de nouvelles institutions politiques. Les mécanismes du marché sont dépassés, inadaptés, obsolètes… D’après Jeremy Rifkin, « Le temps écoulé entre la concrétisation d’un échange et le début du suivant représente une perte de productivité et un coût économique accru qui finissent par rendre les marchés en question obsolète. » (« Le rêve européen» p.236) Que devient la notion de propriété d’un bien ou d’un service qui a pu changer de main des centaines de fois dans la même seconde ? Le coût de la transaction est quasiment nulle, les marges sont donc inexistantes et les échanges ne sont plus une raison de faire des affaires. La possession perd tout intérêt. Les marchés sont remplacés par les réseaux dont l’activité est partagée pour aboutir à une relation de « gagnant-gagnant ». Acquérir la liberté n’est plus synonyme de possession mais d’appartenance, c’est à dire d’accès à l’information, à la connaissance. 


Le numérique met fin à l’économie de la rente. Thierry Maillet, vice-président et fondateur du site Ooshot.com, la première plateforme collaborative de réservation de photographes, insiste sur la dimension économique du numérique : « la plateforme numérique est la réinvention de la place du marché du Moyen-Age ». Cette nouvelle expansion crée de nouveaux marchés en donnant la possibilité d’entreprendre avec un minimum de capital et d’infrastructure. L’élément central pour passer d’une économie capitaliste à une économie collaborative dans le cadre d’une société post-industrielle. En générant des baisses de coût, nous devrions assister à la fin de l’économie de la rente si naturellement ces bénéfices sont redistribués équitablement ce qui n’est plus le cas depuis plusieurs décennies. Le numérique favorise les rencontres entre l’offre et la demande à travers les plateformes de marché. C’est une façon plus communautaire de fixer une valeur à un produit ou à un service. Le numérique est un formidable levier d’autonomie professionnelle et à terme de fin probable du salariat. Il est donc urgent de repenser nos régimes sociaux. Certains affirmeront alors, mais pour d’autres raisons, qu’il est temps de passer aux assurances privées. C’est une fausse bonne idée car elle accentuerait la casse sociale. Une tout autre réflexion doit être engagée, en particulier avec l’instauration du revenu d’existence. Le salariat, comme le capitalisme, n’aura été qu’un moment de l’histoire de l’humanité.
 

mercredi 10 juin 2015

Chapitre 8 : LES BÉNÉFICES DE LA SOCIÉTÉ DU SAVOIR INÉGALEMENT RÉPARTIS - Les sacrifiés


8.

Les bénéfices de la société du savoir inégalement répartis

 

Les sacrifiés / Vers une société post-industrielle / La robotisation / La nomadisation / Le pair à pair  

Les sacrifiés
Le coût du travail diminue depuis vingt cinq ans sans qu’il y ait eu à ce jour de conséquence sur les revenus des salariés. Cette baisse provient de la réduction invisible des charges sociales, en particulier sur les bas salaires. Tous les gouvernements ont utilisé cet expédient en le finançant par de l’endettement public. Nos gouvernants ont préféré socialiser la baisse du coût du travail plutôt que d’augmenter l’inégalité entre les classes sociales comme certains de nos voisins (l'Allemagne en particulier). Afin de maintenir les revenus le gouvernement socialiste a imaginé le crédit d’impôt pour la compétitivité (le CICE – 6% de la masse salariale en dessous des 2,5 du SMIC). Encore un allègement de charges qui est financé cette fois-ci par l’impôt sur la consommation (augmentation de la TVA de 19,6% à 20%). On reprend au consommateur ce que l’on n’a pas pris au salarié ! Et, malgré tout nous n’arrivons toujours pas à être compétitifs. Les raisons sont donc ailleurs que dans le coût du travail, à moins de « changer de braquet » et de supprimer le SMIC par exemple. Si les méthodes sont différentes, les résultats sont les mêmes, les coûts des bas salaires diminuent avec un maintien de la protection sociale ; mais à quel prix et pour combien de temps ? On perçoit parfaitement la tendance et dans quel groupe social nous allons rechercher les sacrifiés.
Cette société du savoir à l’intérieur d’une économie capitaliste ne concerne pas les populations les plus populaires, elle ne peut leur donner qu’un emploi non qualifié et par conséquent mal rémunéré. La tendance d’une baisse des bas salaires va s’accentuer si le profit et l’inégalité des richesses restent ce qu’ils ont été ces dernières années. Il faut éviter cette catastrophe humaine et faire en sorte que cette société libératrice le soit réellement pour tous et non simplement pour une minorité. Les différences sociales et culturelles sont suffisamment importantes pour faire porter tout le poids de cette mutation sur les populations les plus fragiles. L’Etat ne peut pas laisser le marché faire sa loi, et pourtant le gouvernement de Manuel Valls libère l’emploi dans les PME et les TPE.
La critique de la société industrielle exposée par le théoricien Ivan Illich dans le livre « La convivialité » a trouvé un écho dans le monde du numérique, et pourtant ce philosophe autrichien n’a que peu connu Internet. L’outil informatique a jusqu’à présent renforcé la complexité des organisations et par conséquent la domination des experts sur la masse. Illich ne dénonce pas la domination de l’Homme par l’Homme mais la servitude que le monde industriel inflige aux travailleurs sacrifiés par toujours plus de cloisonnement et d’efficacité productive. Il dénonce une société qui est dominée par des impératifs de croissance et défend l’idée d’une société conviviale remettant les Hommes au cœur du projet sociétal. Pour le moment notre société du savoir a conservé les mêmes attributs que la société industrielle, et pourtant elle a toutes les capacités à devenir conviviale, comme l’entend Illich, c’est-à-dire à ne pas dégrader l’autonomie personnelle, à ne pas susciter esclaves et maîtres et à élargir le rayon d’action personnel. Son concept de monopole radical est parfaitement transposable dans notre société capitaliste actuelle. Le numérique est un moyen technique si efficace qu’il crée les conditions d’un monopole et interdit tout autre moyen. Il est quasiment impossible aujourd’hui de vivre sans Internet, outil tout autant libératoire que liberticide, et cela sera encore plus vrai dans quelques années. En phase de mutation, comme celle que nous connaissons actuellement, l’outil industriel dans le passé et l’outil informatique aujourd’hui sont censés répondre à des besoins tout en créant des nouveaux maux plus graves que les précédents et qui entraînent l’augmentation du nombre des sacrifiés. Le refus de la fracture numérique est indispensable pour éviter le piège d’une société brutale, autoritaire et bien peu humaine. Ivan Illich condamne cette société capitaliste autodestructrice où l’Homme est victime de sa capacité créatrice. Et si la machine va continuer à remplacer l’employé, il est tout à fait possible de développer des outils conviviaux et de sortir par le haut de cette crise sociétale.
En parlant des actifs qui sont laissés sur le bord du chemin, Jeremy Rifkin écrit « Chaque nouvelle ignominie mine un peu plus leur confiance et leur amour-propre. Ils ont commencé par être sacrifiables, les voilà devenus obsolètes puis, finalement, invisibles dans le nouveau monde du commerce et des échanges planétaires. » (« La fin du travail » p.268) Au début, ce sont les moins bien formés, les personnes sans qualification, les immigrés qui ont payé le prix fort de la révolution technologique. Or, aujourd’hui, ce sont les classes moyennes, les cadres expérimentés qui rejoignent les premiers au bord du chemin. Il se sentent dévalorisés, sans projet d’avenir avec la crainte de voir leur famille se disloquer devant cette situation qu’ils n’ont pas vu venir. Alors prudence à tous ceux qui se croient protégés, bien formés, qualifiés pour défier la vague déferlante, nous y passerons presque tous, aujourd’hui, demain ou dans dix ans.
La classe sociale du Savoir continue à profiter du système et reste l’argument numéro 1 pour faire comprendre que tout le monde peut en bénéficier, qu’il n’y a pas d’autre solution et que demain « on rasera gratis ». Quelle douce illusion que de penser qu’une minorité sociale imposera encore longtemps son diktat économique. Moins ils seront, plus grande sera leur difficulté à nous faire croire que notre place est à leur côté. Ce groupe hétéroclite et cosmopolite, formé d’informaticiens, de chercheurs, de juristes, d’ingénieurs, de créateurs, de consultants de toute sorte devra comprendre que leur rôle est d’être l’aiguillon nécessaire pour transformer la société. Il est la « matière première » indispensable sans laquelle rien ne pourra se faire, hormis le règne de la terreur, de la guerre civile et du chaos.
Notre économie industrielle doit se réinventer à l’ère du numérique, et cette mutation ne paraît pas se mettre en place en associant tous les citoyens. Notre organisation sociétale est dépassée, et les principaux acteurs politiques et économiques n’ont pas suffisamment d’imagination pour comprendre la réalité d’un monde  de plus en plus sans travail. L’audace politique a disparu et personne ne sait aboutir à une proposition positive et constructive. Le pouvoir central est affaibli et une économie contributive vient progressivement rivaliser l’économie capitaliste. Changement radical de la nature du travail, les fermes, les industries et les bureaux ont besoin de moins en moins de personnel avec des machines plus performantes et moins coûteuses. Les êtres humains seront cantonnés aux emplois très spécifiques ou aux emplois sans qualification. Entre les deux, il y aura les machines. C’est la main d’œuvre du futur. « Dans le siècle qui vient, la contribution humaine va progressivement quitter le monde marchand pour investir la société civile. » Jeremy Rifkin (« La fin du travail » p.LV) Le capitalisme est malade de vieillesse, d’usure, il ne contrôle plus ses ouailles, il sépare les individus et les éloigne de la vie décente. Il ne représente plus une société qui se tient debout, qui regarde fièrement l’avenir et invente l’avenir afin de le rendre plus humain.
Les tensions entre les riches et les pauvres, ou ceux qui se sentent délaissés par la révolution technologique vont s’accroître jusqu’à l’explosion ou la domination des uns sur les autres. Leur antagonisme fera qu’à un moment ou un autre la cohabitation deviendra impossible. Faut-il attendre qu’une étincelle allume un brasier social que l’on ne saura pas éteindre ? Les riches ne pourront pas continuer à vivre dans des zones de plus en plus protégés, il leur faudra bien partager volontairement ou sous la contrainte d’une population en armes. Dans chaque révolution il y a des gagnants et des perdants, seulement les perdants sont toujours plus nombreux. Et, personne ne peut affirmer que de gagnant il ne deviendra pas perdant dans les mois suivants.

dimanche 7 juin 2015

Chapitre 7 suite et fin : Le climat, une priorité absolue face au commerce international

Le dérèglement climatique est une occasion unique de renverser la table pour proposer un nouvel équilibre entre les préoccupations commerciales et la nécessaire transition énergétique. Les citoyens n’ont pas réussi à se mobiliser pour sauver leurs emplois, ils pourront peut-être se l’autoriser pour protéger la calotte glaciaire. Tous les scientifiques qui travaillent sur la question climatique insistent sur la nécessité de ne pas dépasser une augmentation de 2°C de la température d’ici la fin du siècle. Objectif qu’il sera difficile d’atteindre si nous laissons l’économie diriger nos vies. Naomi Klein, dans son dernier livre « Tout peut changer », lie ce dérèglement climatique à l’affaiblissement de la sphère publique : « Ce travail de sape se mène au nom de l’austérité, qui a succédé à d’autres notions tout aussi abstraites et déconnectées de la vie quotidienne (équilibre budgétaire, amélioration de l’efficacité, stimulation de la croissance économique, etc.) pour justifier ces incessants appels au sacrifice collectif, qui servent tous le même objectif de croissance économique. » (p.29) Il est impossible de mettre en place des politiques correctrices en maintenant un « capitalisme dérèglementé ». Il suffit d’étudier tous les accords commerciaux internationaux de ces trente dernières années pour s’en rendre compte. L’augmentation des gaz à effet de serre, qui était de 1% dans les années 1990, est passé à 3,4% dans les années 2000. Il fallait toujours produire les biens à moindre coût pour nourrir la Bête, celle qui nous a donné tant de biens matériels pour nous convaincre que le bonheur était dans la consommation. Ce n’est plus un problème technique mais essentiellement le problème politique. Nos dirigeants sont-ils capables d’un côté de refuser aux lobbies la liberté de commercer et de l’autre aux citoyens de revoir leur mode de vie et leur employabilité ? Il leur faudra beaucoup de courage et d’abnégation pour forcer le passage. En sont-ils capables ? Nous le saurons en décembre avec la COP21 à Paris. Il nous faut rompre avec le fondamentalisme marchand et la vision matérialiste de la société de consommation. Surtout que nous ne devons pas oublier que certains groupes économiques voient dans la dégradation climatique des opportunités uniques de faire prospérer leurs affaires, et seront des lobbies très entreprenants pour promouvoir une transition énergétique soutenable sans casser le système. Il n’est pas rare d’entendre certains relais d’opinion expliquer l’intérêt de cette situation pour les pays développés et leur économie.  Dans le même temps le chantage à l’emploi continuera à faire pression sur les politiques quelles que soient les conséquences de survie pour des centaines de millions de personnes dans le monde. Ces grands trusts seront toujours là pour se dédouaner des grandes catastrophes climatiques par des actions humanitaires bienveillantes. Comment expliquer et être entendu par un retraité du Middle West aux Etats-Unis ou un agriculteur de la Beauce qu’une baisse de leur revenu est indispensable pour sauver la planète et que leur intérêt personnel est nuisible à l’intérêt collectif ? Les fonds de pension par la pression qu’ils mettent en terme de rentabilité capitalistique ou les aides agricoles de l’Union européenne sont devenus toxiques et ont un rapport direct avec l’augmentation des gaz à effet de serre.
Le commerce international et son tuteur l’OMC ont été et sont encore les acteurs majeurs de cette impossibilité à aménager une politique favorable au climat. Depuis un quart de siècle, la mondialisation a favorisé l’obstruction à des initiatives industrielles, commerciales et citoyennes en prétextant des entraves à la libre circulation. Ces fameux accords de libre échange ont permis un développement économique sans précédent en détruisant dans le même temps environnement et emploi dans un grand nombre de régions du monde. Nous en sommes arrivés à pourfendre l’économie locale en raison d’une discrimination commerciale qui n’était en fait qu’un obstacle aux bénéfices de quelques grands groupes industriels et financiers. Cette politique acceptée et protégée par les Etats détruisait l’emploi local et le climat sans que personne ne s’y oppose. C’est ainsi que les politiques énergétiques de substitution aux énergies fossiles sont encore très éloignées des objectifs fixés par les différentes Conférences sur le climat. Il existe toujours des distorsions entre les subventions versées aux entreprises pétrolifères et celles qui exploitent les EnR. D’après ces Conférences, les Etats sont responsables des GES (gaz à effet de serre) produits sur leur sol et non les GES qui découlent de produits qui leur sont destinés. Une parfaite supercherie qui leur a permis de se dédouaner à bon compte et présenter un bilan carbone acceptable vis-à-vis de leur population.
Nous ne pourrons pas instituer une économie durable sans changer les règles du commerce international. Une organisation mondiale est nécessaire, non pour favoriser le libre échangisme mais pour trouver un juste équilibre entre le commerce et l’environnement. Nos pays industrialisés peuvent toujours se féliciter de leurs efforts pour baisser nos indices en matière de GES si ceux-ci ne sont dus qu’à un transfert industriel dans des pays ateliers comme la Chine. Notre empreinte écologique est en réalité toujours aussi importante. Les discussions actuelles sur le fameux TAFTA sont essentielles pour l’avenir de notre planète, et le symbole de la lutte entre deux visions du monde : consumériste et capitaliste, citoyenne et durable.
Ces deux visions du monde qui s’affrontent et qui ne pourront pas à terme cohabiter. Nous ne pouvons plus tenter de satisfaire tout le monde, nous avons trop attendu. Pour que nos enfants, et ceux qui grandissent à l’autre bout de la Terre, puissent espérer vivre dans des conditions climatiques acceptables pour l’être humain nous allons devoir inventer très rapidement un nouvel ordre économique. Sans l’action des citoyens cette mutation sera bien trop complexe, et pour se faire il nous faudra résoudre de nombreuses contradictions entre notre maintien de notre mode de vie et notre capacité à engendrer beaucoup plus d’altruisme.


« La déstabilisation du climat est le prix à payer pour un capitalisme déréglementé et mondialisé, sa conséquence involontaire, mais inévitable. »
Andreas Malm (« China as chimney of the World »)

« Sans électricité, il n’y a pas de lumière, pas d’eau potable, pas d’éducation, pas de santé, pas de croissance. »
Jean-Louis Borloo