3.
Des territoires et des populations déclassés
La fracture territoriale / La
désindustrialisation sauvage / Quel nouveau
contrat social ?
La fracture territoriale
Un territoire est tout autant un espace
géographique que national, régional ou local, c’est un cadre pour mener des
projets collectifs de développement. Or, en dehors des espaces métropolitains,
on a le sentiment que ces projets collectifs sont en voie de disparition parce
que la puissance publique n’a plus les moyens de les financer. Depuis plus d’un
quart de siècle, les différentes crises ont été amorties par les aides
publiques, la présence de l’Etat et des collectivités. Ils ont permis aux
territoires de maintenir un développement artificiel. Les déficits publics et
le sevrage des crédits empêchent désormais de poursuivre cette politique
d’assistance généralisée. C’est ainsi que la crise des finances publiques ne
fait qu’aggraver la situation économique d’une France colbertiste, c’est-à-dire
centralisatrice.
Si la croissance est génératrice
d’inégalités - il suffit de voir l’expansion des métropoles - elle a profité
malgré tout à l’ensemble des territoires, par des politiques redistributives
généreuses. L’économie de ce début du XXIème siècle n’est plus centrée sur les
zones à bas coûts de main d’œuvre mais bien sur les zones métropolitaines où
sont déjà concentrées les élites. Tout se vit et se décide dans les grands
centres urbains. La ségrégation est en marche et la désertification ne
proviendra pas de l’abandon de nos terres agricoles mais de notre réseau de
villes moyennes périurbaines qui constituait la richesse de notre pays. La
mondialisation capitaliste est en marche et ravage tout ce qui est faible ou
devenu tel : organisations, territoires et êtres humains. Elle engendre
également la montée inexorable des populismes. La volonté de réduire les
dépenses publiques pour les rapprocher de la norme européenne est techniquement
possible mais entraîne une déflagration pour cette France qui est déjà en grande
difficulté. Va t-on laisser ces territoires sinistrés aux mains de l’extrême
droite, les faisant passer par « pertes et profits » d’un pays qui
doit être au soi-disant rendez-vous de la mondialisation ? Le retour à
l’efficacité économique et le maintien de notre modèle social doivent-ils
engendrer une inégalité territoriale dévastatrice ? L’aménagement du
territoire et les investissements publics doivent être maintenus, c’est une
question de survie républicaine. La responsabilité du politique est de faire
des choix, surtout lorsque la période est délicate comme celle dans laquelle
nous nous trouvons. La réduction des déficits publics va automatiquement
pénaliser les territoires ruraux et périurbains par moins de recettes et
avantager les territoires riches, et par conséquent les métropoles, par moins
de prélèvements. Celles-ci sont bien les moteurs du peu de croissance que l’on
est encore capable de dégager mais elles conduisent aussi à une catastrophe en
terme de mode de vie consumériste. L’urbanisation excessive, les rythmes de vie
effrénés, les pertes de repère culturel sont les principales causes d’un mode
de consommation déconnecté du bonheur.
Il existe aujourd’hui une fracture
territoriale, et non plus régionale. Les zones périurbaines rurales, qui se
sont développées depuis trente ans par l’arrivée de la classe moyenne de
salariés, de plus en plus déclassée, sont les oubliées de la République. La
classe moyenne des villes périurbaines est endettée, rejetée par cette société
sans travail et sans projet. Elle est la proie de tous les populismes, des mouvements
extrémistes qui peuvent l’appâter avec des chimères d’un autre temps. Les
territoires les plus pauvres sont les plus dépendants de l’aide publique ;
Marine Le Pen l’a parfaitement compris en recentrant son discours sur la
défense d’un Etat fort et centralisateur.
La question des territoires est centrale
et pourtant la réduction des inégalités sociales ne passe pas forcément par
l’égalité spatiale. Un pays riche, par son histoire, sa culture, ses paysages,
ne peut laisser des pans entiers se désertifier. L’économiste Laurent Davezies
répertorie quatre France, dont deux (Une France productive, marchande et en
difficulté, composée de bassins industriels déprimés et une France non
productive, non marchande, en difficulté et dépendant des seuls revenus sociaux)
qui représentent 20% de la population en situation très critique. Un seul espace
marchand, concentré dans les métropoles, qui représente 36% de la population
est dans une spirale dynamique, les 44% correspondent à la France touristique habitée
essentiellement par des retraités et riche en services publics. Les revenus
locaux d’origine « résidentielle » (séjours touristiques, résidences
secondaires, actifs travaillant hors du territoire, retraités) sont devenus
plus importants dans ces zones, et même bien supérieurs, aux revenus de la
production.
Il
ne faut pas croire qu’à l’intérieur de chacune de ces France les inégalités
n’existent pas. Ce ne sont pas les territoires qu’il faut aider mais les Hommes
qui s’y trouvent. C’est seulement par cet effort de solidarité active,
c’est-à-dire autrement qu’en versant quelques subsides pour obtenir la paix
sociale, que nous pourrons retrouver de la vitalité territoriale. Pour rester
en vie, un territoire devra sans doute favoriser la mobilité de sa jeunesse,
l’aider à revenir afin qu’elle puisse un jour développer de nouveaux atouts en
créant des entreprises capables d’entraîner d’autres créations. La France n’est
pas un grand parc d’activité sans âme, elle reste un pays où bien des Hommes
aimeraient vivre. La République doit agir pour être plus forte que la
mondialisation qui cherche à la faire disparaître. Le capitalisme international
n’a plus besoin d’Etats puissants.
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