La société de consommation montre ses
limites et nous entraîne vers des situations sociales difficilement gérables en
raison de populations abandonnées de plus en plus nombreuses. Qu’ont-elles à
perdre si elles ne peuvent bénéficier des « bienfaits »
consuméristes ? En particulier les jeunes qui ne voient pas ce que
l’avenir peut leur apporter en dehors du chômage ou des contrats aidés. Nous avons
des pays riches avec des populations de plus en plus pauvres ce qui entraîne
une crise de confiance de la part du plus grand nombre qui a le sentiment que
cette richesse n’est plus pour eux ou pour leurs enfants.
Nous allons vivre dans un monde où la vie
humaine n’a plus de valeur pour beaucoup de délaissés, donc un monde de plus en
plus dangereux. Pas de travail, pas de pouvoir d’achat, pas de raison d’espérer
dignement… la violence reste alors le seul moyen pour exister, posséder, être
reconnu... Et pendant ce temps là, les classes privilégiées vont se protéger,
s’enfermer dans des zones réservées. Nous pourrions voir apparaître des îlots
de prospérité entourés de zones de non droit. Ce scénario là ne doit pas voir
le jour.
Il est temps de proposer une vision
renouvelée du pacte social et de la création de valeur. Les responsables
politiques doivent repenser l’organisation de nos sociétés qui étaient jusqu’à
présent organisées autour du marché et de l’Etat-Nation. Aujourd’hui et surtout
demain, il va falloir associer le tiers secteur, l’économie collaborative. Ce
n’est pas simplement un acteur supplémentaire qui accepterait les règles établies,
mais c’est surtout mettre fin au dualisme Etat-marché. Définir une nouvelle
théorie et un nouvel ordre peut nous amener à trouver un nouvel équilibre. L’Etat-Nation
va perdre de son autorité, il va devoir repenser ses formes d’intervention. En
ce début de XXIème siècle, ce sont encore et toujours les entreprises
internationales qui font la pluie et le beau temps économique. Elles sont bien
plus puissantes que beaucoup de pays. Le commerce international se moque de ces
Etats ankylosés par le principe de providence. Quel contrat social ?
Qu’allons-nous faire de tous ces talents sans emploi ? Le capitalisme et
le socialisme sont-ils sur le point de devenir des théories du passé ?
Avant de changer le modèle économique, il
faut en créer les conditions démocratiques. Le « vivre ensemble »
nécessite que les responsables politiques proposent des alternatives,
construisent dans la durée et rendent compte de leurs résultats. Le microcosme
politique doit nous apporter la preuve de sa capacité à réformer, à rendre plus
juste et à transmettre de l’espoir. La démocratie participative est le meilleur
moyen de renouveler le dialogue entre les citoyens, la classe politique et les
experts (syndicats, fédérations de parents d’élèves, media, universitaires…) à
travers la consultation des citoyens et de leurs représentants et la
planification (concept oublié qu’il faut actualiser et ré-initier au plus vite
et à tous les étages d’une société réellement démocratique). Le capitalisme est
incompatible avec un comportement social qui implique le partage, ou la
coopération. L’économie collaborative peut rejoindre et dépasser une économie
capitaliste en pleine dérive. Il représente déjà une économie parallèle
d’envergure (coopératives, mutuelles, associations). Selon une étude PwC
parue fin novembre 2014, le marché de l'économie
du partage (la « sharing economy ») pourrait
représenter 335 milliards de dollars (268,5 milliards d'euros) d'ici à 2025,
contre 12 milliards d'euros en 2014. Cette alternative collaborative a été imaginée depuis
longtemps. Même Alexis de Tocqueville s’y était intéressé.
Nous connaissons la fin, mais le parcours
pour nous y amener est encore flou. La société va devoir revoir ses
fondamentaux sur le travail, soit le temps libre sera imposé par le chômage ou le
temps partiel, soit les fruits de la productivité seront équitablement partagés
par la réduction continue du temps de travail et le temps libre sera alors vécu
comme une conquête sociale et libératrice. D’un côté nous aurons de l’agitation
sociale avec une minorité qui s’accrochera à ses privilèges jusqu’à la
violence, et de l’autre une concorde fraternelle avec de nouveaux liens sociaux
et une démocratie participative opérante.
Notre société capitaliste considère que
la production est au centre de la fabrique du lien social, plus d’ailleurs que
la question de la consommation. Or, l’objectif de la société devrait être de
satisfaire les besoins humains et non pas de maximiser les productions. Associer
des consommateurs soucieux de la qualité et des producteurs désireux de
retrouver du sens à leur travail serait la base d’une cause commune. La classe
politique se retrouve devant une double problématique. A court terme, elle doit
trouver des solutions pour occuper les actifs et financer la société de la
connaissance qui se met en place, et à long terme, concevoir un nouveau modèle
de société où le profit ne sera plus au centre du système économique.
Les échéances sont
difficiles à prévoir, mais la trajectoire vers un avenir automatisé et sans emploi
pour les humains est irrévocable. Ce sont aux responsables politiques du monde
de réfléchir aux différentes étapes qui soient les moins douloureuses et les
plus sûres pour nous faire arriver à bon port, c’est-à-dire dans une société
pacifiée, libre et joyeuse. Il faut arrêter de se renvoyer les responsabilités
de la situation, nous sommes tous engagés dans une même aventure, les très
riches, les classes moyennes et les plus pauvres. Peut-être qu’hier les mots
Socialisme, Libéralisme, Capitalisme voulaient signifier un idéal dans un monde
qui découvrait l’économie de marché. Je suis aujourd’hui persuadé qu’ils se
retrouveront très vite dans les livres d’histoire lus sur des visionneuses numériques d’un
monde émergent. Je ne sais pas quels seront les qualificatifs que nous
utiliserons pour dessiner ce monde mais ils seront différents et seront
significatifs d’un monde plus humain ou plus totalitaire, d’un monde laïque ou
d'un monde dominé par le fait religieux, d’un monde égoïste ou
collaboratif. Passerons-nous par le chaos ou serons-nous capables
collectivement d’élaborer un nouveau contrat social ?
« Libérer l’homme de la nature sauvage a pris des
millénaires ; libérer l’homme de l’économie sera la tâche d’une
génération, la nôtre. »
Jean-Jacques Servan-Schreiber et Michel Albert « Ciel et
Terre »